Twint est désormais un moyen de paiement omniprésent en Suisse. Un succès incontestable. Mais en coulisses, la situation est explosive, sur fond de critiques sur son opacité et ses frais jugés trop élevés. Pourtant, lorsque l’application a été lancée, en 2015, les intentions étaient nobles: il s’agissait de proposer aux commerces une alternative moins chère aux paiements par carte existants.
Les débuts ont d’abord été laborieux, la technologie n’étant pas au point. Mais après quelques années, les chiffres se sont envolés. Les virements directs via Twint ont joué un rôle moteur dans cette évolution. Aujourd’hui, l’application n’est plus le rebelle d’autrefois et ses frais se rapprochent de ceux de la concurrence. Car avec l’augmentation du volume des paiements, les commerçants ont réalisé à quel point le système s’avérait onéreux.
De la promesse d’un système bon marché à des frais jugés excessifs
Deux sujets sont au centre de leurs critiques: les frais s’avèrent non seulement plus élevés que ce qui avait été promis mais ils ne sont, de plus, pas transparents. Presque personne ne sait où vont les frais des commerçants. Qui réalise quel chiffre d’affaires. Et quel bénéfice. Même le volume des transactions en valeur n’est pas divulgué. Pour Bernhard Egger, de Handelsverband.swiss, qui représente 70% du commerce en ligne suisse, Twint est «beaucoup plus cher que les cartes de crédit». Un avis partagé par Dagmar Jenni, de la Swiss Retail Federation, qui regroupe plus d’un millier de détaillants.
«Nous proposons Twint comme moyen de paiement supplémentaire, bien qu’il soit environ 10% plus cher pour nous qu’un paiement par carte de crédit suisse», déclare pour sa part Martin Roth, responsable des moyens de paiement chez Manor. Des affirmations rejetées par Twint. Selon son service de presse, Twint est «peu coûteux». «Les systèmes de paiement internationaux qui dominent dans nos pays voisins sont nettement plus chers que les conditions habituelles de Twint.»
Ce qui irrite surtout les commerçants, c’est que personne ne sait selon quelles règles les frais sont fixés. Twint est une boîte noire plus opaque que le secteur des cartes de crédit. Dans ce dernier, on sait quelle partie des frais est reversée aux banques sous forme d’«interchange», car les taux fixés par Visa et Mastercard sont négociés avec la Commission de la concurrence (Comco). Pour les transactions nationales par carte de crédit, ce pourcentage est en moyenne de 0,44%, pour les cartes de débit Visa et Mastercard, entre 0,1 et 0,2% va aux banques. Les tarifs sont publics, tout le monde peut les consulter.
773 millions
Le nombre de transactions effectuées via l’application en 2024, dont 580 millions entre consommateurs et commerçants. Dans le commerce en ligne, Twint a désormais remplacé les cartes de crédit comme principal moyen de paiement électronique.
2015
Lancé il y a dix ans, Twint a été développé par Monexio, une filiale de PostFinance. En 2016, Twint a fusionné avec Paymit. Les plus grandes banques suisses et SIX participent à Twint depuis cette fusion.
Twint aussi verse des rétrocessions. Dans le cadre des «bilateral fees», chaque banque convient avec le commerçant du montant de sa participation aux frais de transaction. Mais rien n’est divulgué. Seules les banques connaissent leurs conditions. Des chiffres circulent dans le secteur. On entend dire que les banques reçoivent «jusqu’à 1%» du prix de vente. Dans les conditions générales de Twint, il y est déclaré que les banques reçoivent «généralement entre 0 et 2% du montant» des transactions des commerçants. Dans le cas des «transactions partenaires» négociées via Twint, les banques reçoivent même «jusqu’à 5% du montant de la transaction».
Une opacité qui alimente la colère des commerçants
Twint ne précise pas quand exactement ces taux maximaux élevés s’appliquent. Ni quel est le taux moyen des frais de transaction. Une seule certitude: les différences sont importantes, selon le commerçant chez qui on paie. Ainsi, un banquier ayant accès aux chiffres affirme que la banque ne reçoit «pratiquement rien» sur les transactions effectuées chez le détaillant Coop. En revanche, elle reçoit «jusqu’à 0,75%» sur les autres. Autre certitude: pour chaque transaction, 0,15% va directement à Twint en tant qu’opérateur du système. Soit bien plus que ce que Visa et Mastercard perçoivent pour leurs cartes de débit. Visa chiffre ces «scheme fees» à 1 centime pour 45 francs de transactions, soit 0,02%.
Les structures de Twint font aussi l’objet de critiques. Sur le papier, la concurrence règne. Twint se considère comme un opérateur de système indépendant qui travaille avec des banques qui facturent les commerçants. Selon Twint, les frais sont «librement négociés» entre les acquéreurs et les banques de manière indépendante. Cette présentation a permis à l’entreprise de ne pas être inquiétée jusqu’à présent par la Comco et le surveillant des prix.
Mais cette image vacille. Car les acteurs de l’empire Twint sont étroitement liés les uns aux autres. Actuellement, seules deux entreprises peuvent traiter directement les transactions Twint en tant qu’acquéreurs pour les commerçants. L’une d’entre elles est Twint Acquiring, une filiale à 100% de Twint. L’autre est Worldline, qui détient à son tour une participation importante dans Twint. Derrière ces deux entreprises se cachent également des actionnaires communs: cinq banques, dont PostFinance et UBS, détiennent la majorité des actions de Twint. Parallèlement, ces mêmes banques devraient également détenir une participation majoritaire dans SIX Group. Ce dernier détient à son tour des parts dans Worldline et Twint et traite également tous les paiements pour le compte de Twint.
Concentration du marché et pressions croissantes sur la Comco
«Il n’y a pas de concurrence», déclare Dagmar Jenni de la Swiss Retail Federation. Martin Roth souligne également que le marché est fortement concentré: «Que l’on négocie ou que l’on parle avec Twint ou Worldline, la concurrence est à peine perceptible.» «Twint pense qu’il bénéficie encore d’une période de protection, estime Severin Pflüger, de l’influente association d’utilisateurs VEZ (Association pour les paiements électroniques), qui regroupe des entreprises telles que Migros, Coop et les CFF. Mais avec de telles parts de marché, cela ne peut plus être le cas.»
Dans les milieux du commerce, la Comco et le surveillant des prix doivent intervenir. Plusieurs organisations, dont la Swiss Retail Federation, examinent la possibilité de porter plainte auprès de ces instances. Selon notre confrère Handelszeitung, une des associations a déjà déposé une plainte où il est question d’«accord illicite en matière de concurrence», de «frais excessifs» et de tarifs qui «ne sont très probablement pas le résultat de négociations ouvertes».
Peut-être que les banques elles-mêmes se manifesteront aussi auprès de la Comco. Notamment les banques tierces, qui ne détiennent pas de participation dans le système de paiement, dont certaines se plaignent également d’un manque de transparence.
Cet article est une adaptation d'une publication parue dans Handelszeitung.